"Votre vérité? Non. Vous vous la gardez! La vérité.
Nous allons la chercher ensemble." Antonio Machado cité par Juan José Tamayo Acosta |
article complet issu du site "Culture et foi" :
Je suis un théologien libre Juan José Tamayo Acosta
L'auteur, théologien qui
vient dêtre condamné par le Vatican, est désolé que l'étude de son euvre,
réalisée par le Saint Office de lInquisition, nait pas été une invitation
au dialogue, auquel il se déclare prêt.
"La Congrégation pour la
Doctrine de la Foi m'a fait l'honneur de se pencher sur mon travail théologique pendant
trois ans, comme elle la fait avec celui de mes amis Hans Küng et Leonardo Boff. La
Commission pour la Doctrine de la Foi de la Conférence espagnole Épiscopale a fait siens
les résultats de l'étude. Je n'ai jamais imaginé que Vatican et les évêques espagnols
donnaient tant d'importance à mes recherches.
Il est certain que cela a été
un travail consciencieux et intense, étant donné lampleur de mon uvre :
deux thèses doctorales, près de mille articles dans les mass médias, plus de 2.000
recensions des livres de philosophie, théologie et sciences sociales, 500 études dans
des revues spécialisées et plus de 30 livres. Le dernier vient de paraître aux
éditions Trotta sous le titre Nouveau Paradigme Théologique. Il est sûr qu'il
continuera de donner du travail, cette année, aux détectives du Vatican et de notre
épiscopat.
Ma première réaction devant
les critiques de ma théologie ne peut pas être autre que la reconnaissance. Combien de
collègues voudraient que Rome soccupât de leurs livres, quoique ce fût pour se
faire un peu tirer les oreilles et pour avoir l'occasion de se rendre humblement au
verdict vaticanesque ! Mais ils ny arrivent pas. Et moi, qui suis un théologien
libre par choix et par conviction depuis mes jeunes années, qui n'appartiens pas au
clergé ni ne dépends de quelque évêque, ni nenseigne dans les sanctuaires de la
dogmatique catholique, jai la surprise de lêtre, alors : merci
beaucoup ! Et ce n'est pas un compliment et moins encore ironie, quoiqu'il y ait
quelquironie à me considérer théologien
hétérodoxe, quand je suis le premier à le reconnaître, à la suite de Saint Paul.
« il convient quil y ait des hétérodoxes » en faisant prendre corps à
l'affirmation d'Ernst Bloch : « Le meilleur de la religion est dengendrer des
hétérodoxes. »
Mais ma reconnaissance ne va pas
sans surprise : jai fait lobjet dinvestigations sans quon me
consulte et lon mapprend l'existence d'une Note et d'un Rapport disqualifiant
mes idées, une fois l'enquête terminée. Il aurait été facile de maintenir un dialogue
entre collègues, même si nous nétions pas parvenus à un accord. Habermas nous a
enseigné que la raison est dialogique et non autoritaire. Dommage que l'étude de mon
travail ait eu pour but de me condamner sans mentendre et non de réaliser un débat
de fond sur de grandes questions débattues aujourd'hui en la théologie. Je laurais
fait volontiers, mais pas sous la dépendance du vieux Saint Office mais au sein de
l'Académie avec lumière et sténographes.
Et en même temps que la
surprise, un reproche : chaque fois que le Vatican se consacre à lexamen de
théologiens et de théologiennes, il s'inquiète de l'orthodoxie plus que de
l'orthopraxis. Le cardinal Ratzinger sait que pour un théologien chrétien l'Évangile
est antérieur au dogme, suivre Jésus de Nazareth, antérieur à l'obéissance au Pape,
le Sermon sur la Montagne au code de droit canon ; et la construction du royaume de
Dieu, plus importante que la construction de l'Église.
Je me suis toujours senti très
en phase et solidaire avec les théologiens maudits et encore beaucoup plus maintenant. Je
vais faire un rappel subversif de certains d'entre eux. Le premier est Jésus de Nazareth,
le réformateur juif, le critique de sa religion et initiateur d'un nouveau mouvement de
libération : le christianisme. Je fais mémoire d Arius (256-336), le pieux
prêtre, qui plaçait Jésus dans la proximité maximale de Dieu, mais il ne le
reconnaissait pas comme Dieu pour sauver le monothéisme Chrétien. Il a été condamné
en l'an 325 au concile de Nicée convoqué par l'empereur Constantin dans son palais
d'été pour assurer l'unité de l'Église. Je n'oublie pas Nestorius (décédé en 451),
le patriarche de Constantinople, qui ne reconnaissait pas Marie comme mère de Dieu, mais
comme la mère de l'homme Jésus de Nazareth. Il a été condamné à Ephèse (431) privé
de toute dignité ecclésiastique et chassé de l'Église. Il est mort banni dans le
désert égyptien. Autre hétérodoxe Priscillien (350-384), évêque d'Avila, qui
pratiquait une vie ascétique rigoureuse. Accusé de conduite immorale et de magie, il fut
le premier hérétique à qui lon ait appliqué la peine de mort.
En plein Moyen âge nous pensons
à Joachim de Flore (mort aux environs de 1203), l'ermite de Calabre et le visionnaire
apocalyptique qui a annoncé l'Utopie de l'ère de l'Esprit. Malgré lintervention
du pape Grégoire IX en sa faveur, on a considéré son uvre comme subversive et
elle a été condamnée. Maître Eckhart (1260 - aux environs de 1327) était un des
sommets du mysticisme de tous les temps. Le pape Jean XXII a condamné son ouvre comme
hérétique, après sa mort.
Il ne manque pas de femmes
accusées d'hérésie. La mystique béguine Marguerite Porete (morte en 1310) est tombée
aux mains de l'Inquisition, qui l'a emprisonnée. Son livre le Miroir des âmes simples
annihilées, a été approuvé par trois ecclésiastiques, mais il a été interdit sous
peine d'excommunication et brûlé en place publique sur l'ordre de Guy II, évêque de
Cambrai. Déclarée hérétique et relapse par lInquisition, elle fut remise au bras
séculier, qui la brûlée vive en 1310 à Paris en place de Grèves en présence
des autorités ecclésiastiques et civiles.
Guillerma de Bohême (morte en 1281), chercheuse de Dieu et
maître de vie spirituelle, à qui venaient hommes et femmes qui demandaient conseil et
consolation, a pu compter sur l'appui des Cisterciens, qui l'ont enterrée dans leur
abbaye de Chiaravalle, où les milanais la vénéraient comme sainte. LInquisition,
cependant, a donné lordre de déterrer son cadavre et de le brûler publiquement.
Jean Hus (1369-1415), recteur de
l'Université de Prague, personne fervente et de murs irréprochables, a critiqué
durement le clergé et les riches évêques, et a mis en doute les formes de piété
superficielle. Il a défendu une Église sans liens avec le pouvoir temporel. Il est venue
au concile de Constance avec une promesse d'immunité qui n'a pas été respectée. Ce
concile l'a condamné comme hérétique et l'a livré à l'empereur Sigismond, qui la
fait mourir asphyxié à la fumée de poix.
Luther (1483-1546) a critiqué léglise
simoniaque qui vendait le salut à prix dor et a mis en marche la Réforme
protestante centrée sur la subjectivité de la foi, lesprit communautaire et la
primauté de la Bible sur les dogmes. Un pape la excommunié, Léon X, et quasiment
cinq siècle plus tard, un autre pape Jean Paul II, a demandé pardon pour cette
condamnation.
L'Église catholique fut
inflexible avec les balbutiements de la science moderne et a poursuivi quelques-uns de ses
principaux fervents. Giordano Bruno (1544-1600) fut emprisonné par lInquisition et
brûlé au Campo de las Flores. Galileo Galilei (1564-1642) dut comparaître devant le
tribunal de lInquisition qui condamna sa théorie comme hérétique en 1633, et il
passa sa vieillesse sous la surveillance de lInquisition.
Le mystique Jean de la Croix
(1542-1591) collabora avec Thérèse de Jésus à la réforme de la vie religieuse pour
vivre lÉvangile dans toute sa radicalité et sa dimension humaniste, dans un climat
fraternel, avec simplicité et sans excès rigoristes. Des carmes chaussés, quelques
laïcs et les gens armés l'ont retenu et enfermé dans une cellule du couvent de Tolède,
où il est resté un an. il a réussi à fuir. À la fin de sa vie, les carmes
déchaussés eux-mêmes lont persécuté et diffamé. Il a été canonisé en 1726
et déclaré docteur de l'Église en 1926.
Le théologien et philosophe
Antonio Rosmini (1797-1854) mit le doigt sur les cinq plaies de lÉglise : la
division entre le clergé et les fidèles dans le culte, léducation insuffisante du
clergé, la désunion des évêques, leur nomination abandonnée au pouvoir séculier et
le maintien du féodalisme qui a fini par supprimer la liberté de lÉglise, doù
dérivaient tous les maux. Le livre qui dénonçait ces plaies à été mis à lindex.
Un siècle et demi plus tard, a commencé son procès en béatification.
Les théologiens modernistes qui
ont voulu associer christianisme et modernité, droits humains et Église, échouèrent
dans leur tentative. Un des plus représentatif est Alfred Loisy (1857-1940), auteurs dimportantes
uvres exégétiques, entre autres LÉvangile et lÉglise où lon
peut lire cette sentence lapidaire : « Jésus a annoncé le royaume et cest lÉglise
qui vint. »
Le dominicain Chenu (1895-1990)
fut mis en cause pour son livre Une École de Théologie : le Saulchoir, qui fut
mis à lindex. Dans les années soixante, il participa activement au Concile Vatican
II et inspira Gaudium et Spes. Ce ne fut pas mieux pour son frère dans lordre,
Congar (1904-1995) qui a dû sexiler par trois fois, sest vu privé de sa
chaire et a dû supporter la censure de ses livres. Quelques années avant sa mort, Jean
Paul II la nommé cardinal.
Bernard Häring, un des
principaux rénovateurs de la morale catholique, sest révélé opposé à la
publication de la Humanae Vitae. Dès lors, il a été contrôlé par des
fonctionnaires de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi qui ne le lâchaient pas. Il
a écrit une lettre au préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, dans
laquelle il avouait : « Je préférerais me trouver à nouveau devant un tribunal de
Hitler » plutôt que de comparaître devant la Congrégation romaine qu'il le
jugeait. Son procès, qui a duré huit ans, a été qualifié par Häring lui-même
« dauthentique persécution » parce
qu'il a coïncidé avec l'apparition d'un cancer de la gorge qui l'a obligé à se
soumettre à sept interventions chirurgicales, suivies de cobaltothérapie. Il est mort.
Hans Küng (1928) fut appelé à
participer au Concile Vatican II par Jean XXIII, très jeune. Quinze années après, la
Congrégation pour la Doctrine de la Foi a déclaré : « Il sécarte de la
plénitude de la vérité catholique et... il ne peut donc pas être considéré comme
théologien catholique ni enseigner en tant que tel. » Cest quasiment la même
disqualification que la mienne.
Léonardo Boff fut réduit au
silence par deux fois : la première fois, il
a accepté de garder le silence pendant neuf mois; la deuxième fois, pour un temps
indéfini. Il a cela considéré comme une humiliation et il a abandonné l'Ordre
franciscain, non l'esprit de Saint François. Ivone Gebara a été aussi sanctionnée pour
des déclarations au sujet de l'avortement, sorties de leur contexte.
Maintenant cest au tour
des sanctions contre les pionniers du dialogue interreligieux et interculturel. Un autre :
le théologien du Sri Lanka, Tisa Balasuriya, condamné par le Vatican par ses
interprétations du péché originel, de la divinité du Christ et quelques dogmes sur
Marie et pour sa tentative de présenter le message chrétien en dialogue avec les
religions orientales, majoritaires en Asie. Il a été suspendu a divinis pour
avoir refusé de souscrire à une profession de foi qui considérait l'exclusion de la
femme du sacerdoce comme découlant de la volonté divine. Quelques années après, Rome a
levé la suspension.
Un autre de ceux qui sont tombés à cause du dialogue interreligieux : Jacques Dupuis, professeur de l'Université Grégorienne de Rome, qui a vécu et a enseigné en Inde pendant environ quarante ans et a élaboré « une théologie chrétienne du pluralisme religieux ». La Congrégation romaine l'a accusé d'erreurs graves contre des éléments essentiels de la foi divine et catholique.
De ce bref parcours à travers
l'histoire de l'hétérodoxie chrétienne on peut tirer quelques leçons : 1) la majorité
des condamnés se caractérise par une expérience religieuse profonde, une vie
exemplaire, une implication dans des secteurs marginaux et une grande cohérence entre
pensée et pratique. 2) Presque tous ont démontré force et lucidité d'esprit, et ils ne
se sont pas laissés intimider ni par le feu des bûchers, ni par les excommunications, ni
par les expulsions de leur chaire, ni par les menaces de châtiments éternels, qui
existent seulement dans l'imagination de ceux qui menacent.
Je laisse la porte ouverte au
dialogue. Et pour entamer ce dialogue, il me plairait de rappeler à Ratzinger et à ces
collaborateurs le vers dAntonio Machado : « Votre vérité ? Non. Vous vous la
gardez ! La vérité. Nous allons la chercher ensemble. »
El Pais 11/01/03
(Traduction Élisabeth Denby Wilkes)
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