Etty Hillesum
Westerbork, lundi 7 juin 1943.
in Lettres de Westerbork. éd. Du Deuil 1995.


[...] De quatre à neuf, j'ai trainé des petits enfants en pleurs et porté des bagages pour soulager des femmes épuisées. C'était dur -et déchirant. Des femmes et des enfants en bas âge, mille six cents ( un autre convoi aussi important est attendu cette nuit ), tandis que les hommes ont été volontairement retenus à Vught. Le train est déjà prêt pour le transport de demain matin. [...] De grands wagons à bestiaux vides. A Vught, il meurt deux ou trois jeunes enfants par jour.

Une vieille femme m'a demandé, complètement désemparée : "Et vous, vous pourriez m'expliquer pourquoi nous devons tant souffrir, nous autres juifs ?" Je n'ai pas pu le lui dire au juste.

Une femme avec un bébé de quatre mois qu'elle n'avait pu nourrir, depuis des jours, que de soupe aux choux, m'a dit : "Je répète sans arrêt "Ah, mon Dieu ! Ah, mon Dieu !", mais existe-t-il seulement ?"

[...] J'y ai retrouvé aussi Schaap, mon médecin interniste de l'Hôpital israélite, qui s'était arrêté près de mon lit avec un groupe de confrères et leur avait expliqué, l'air incrédule : "Messieurs, voici une demoiselle qui n'a rien de plus pressé que de retourner à Westerbork" - comme en présence d'un cas clinique des plus étranges. [...]
[...] J'ai désormais un lit. [...] Cette nuit, à quatre heures, un nouveau transport nous arrive de Vught. La nuit passée, j'ai eu le temps de me former une image de ce camp de Vught, une image particulièrement atroce..
Je suis heureuse d'être revenue ici. [...] .

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"Croyant de foi"