TEXTES de MARCEL LEGAUT...
1900 | 1990 |
"A mon sens, la grande chose maintenant c'est ( ), de comprendre soi-même d'abord, et de faire comprendre aux autres ce que Jésus a eu à vivre il y a vingt siècles, ( )."
"Désormais c'est en découvrant personnellement le sens de sa vie que l'homme peut faire l'approche du mystère de Dieu..."
Infimes et éphémères mais nécessaires,
ensevelis dans l'immensité mais conscients,
perdus dans l'innombrable mais uniques.
Pétris de complexités mais encore essentiellement simples,
limités de toute part mais en soi proprement mystère,
inachevés par nature, mais en puissance de s'accomplir.
Livrés aux lois de la matière et de la vie,
liés sans recours aux cadences des temps et des lieux,
mais libres et responsables en notre centre même,
Sujets au malheur,
voués à la mort,
mais appelés à être.
Solitaires parmi des solitaires
qui se côtoient plus qu'ils se connaissent,
mais sur le chemin de l'unité.
Improbables dés la naissance,
toujours plus improbables dans la croissance,
tâtonnant face à l'inextricable,
trébuchant affrontés à l'impossible,
sans cesse inclinés vers le moins être,
par la foi et la fidélité,
nous existons dans la stabilité,
au milieu de tout ce qui se dissipe,
nous devenons avec sécurité,
au milieu de tout ce qui se corrompt.
Héritiers d'un labeur immense,
visités par ce qui nous appelle,
au-delà de ce qui s'impose,
poussés, soulevés, sollicités,
élevés au-dessus de nous-même,
émergeant de la servitude,
atteignant à la liberté,
ouvriers de l'avenir sans fin de Dieu,
de qui nous sommes et devenons,
qui, seul depuis toujours, a été, est, et devient.
Quel que soit notre destin,
même misérable, même tragique,
quand nous serons purement nous-mêmes,
à notre place dans le réel,
au-delà du faire et du paraître,
hors des plaisirs et des souffrances,
des désirs et des projets,
des soucis et des angoisses,
nous partagerons la joie d'être,
avec l'ensemble des vivants,
qui dépassent l'appétit de vivre,
ces échos en eux de Dieu
qui, seul depuis toujours, a été, est, et devient.
Pour le croire en vérité,
malgré tout ce qui le nie,
puissions-nous avoir la force
de porter,
en restant présents à nous-mêmes,
nos misères dans la dignité,
notre grandeur malgré nos pauvretés,
notre être en devenir dans son autonomie,
au coeur des contingences tout au long de la vie.
Que notre foi, dans sa nudité,
par son enracinement en nous,
l'emporte sur notre cécité.
Que notre fidélité, dans sa ténacité,
par son action sur nous,
permette que nous soyons,
avec tous ceux qui sont,
sous l'action de Dieu
qui, seul depuis toujours, a été, est, et devient.
Marcel Légaut.
"[...] ce qui semble caractériser l'homme parmi les autres vivants: être non pas seulement un "vivant" connaissant, mais un vivant qui connaît, qui est capable de mettre une distance entre lui et l'activité d'où lui vient la connaissance qu'il peut atteindre du réel, qui ainsi, en se distanciant de cette activité, se montre en mesure de pouvoir ne pas en demeurer seulement l'agent passif, voire le théâtre. Si l'acte intime par excellence, direct, sans médiation, qu'est la prise de conscience de soi par l'homme, était uniquement provoqué par les lois que les sciences [...] découvrent, [...], l'homme ne pourrait échapper à une "schizophrénie" totale qui le couperait radicalement du réel en lui donnant l'illusion de juger qu'il l'atteint de façon odjective, tandis qu'il ne serait que la victime inconsciente et sans remède de ses propres mécanismes. [...]
Il est probable d'ailleurs que l'homme, de par sa nature, est dans l'Univers la seule réalité inconnaissable dans sa totalité non seulement en fait mais en droit, la seule manifestation d'un mystère proprement dit. Aussi la recherche vers sa propre humanité ne peut prétendre aboutir à son terme sans par là même être condamnée a radicalement échouer. Cette recherche, [...] ,trouve sa raison d'être dans le progrès qu'elle promeut en l'homme vers celui qu'il est en puissance, lequel dépasse et "transcende" tout ce qu'il peut en savoir et projeter d'en atteindre."
Marcel Légaut.
"L'amour humain ne peut pas se tenir à son niveau hors du recueillement, car seul le recueillement permet à chacun d'être présent à soi-même. C'est uniquement à travers cette présence à soi que, malgré la distance infranchissable séparant ces deux êtres solitaires, la présence de l'autre est perçue. A la fois appel et réponse, l'amour est discret par nature plus encore que par pudeur. Le silence est son climat, silence plein qui ne change pas tellement quand il se mue en paroles car c'est lui qui nourrit les paroles et leur donne leur valeur et leur portée. Comment l'amour ne se dégraderait-il pas dans l'agitation des réactions affectives, des résolutions, des regrets et des scrupules? Il doit absolument transcender les tensions de tous ordres et n'être fidèle qu'à lui-même pour s'établir dans sa vivante immobilité."
Marcel Légaut.
"Dieu, pour moi, est le Réel, sous-jacent à la réalité que, directement ou indirectement, je puis atteindre par mes sens et ma raison. Il m'est radicalement impensable, et je ne puis en faire une approche, toujours insatisfaisante pour ma raison, qu'à travers l'approche que je puis faire de moi-même; l'une et l'autre approche sans cesse à reprendre, sans cesse à développer, sans cesse à dépasser...[... ], les uns, [... ], usent de l'idée a priori qu'ils se font de Dieu; idée plus ou moins fondée sur des considérations philosophiques générales et abstraites que soutient et peut-être valorise notre instinct religieux. Au contraire, d'autres, dont je suis, s'efforcent d'entrevoir à travers ce qu'ils sont personnellement ce qui, sans être Dieu en eux, le révèle en action chez eux...[... ]. [... ], la tentation est grande d'en rester trop uniquement sur le plan intellectuel, de court-circuiter les démarches, fort exigeantes au niveau personnel, de l'intériorité et de se borner à seulement vivre de ce qu'on pense.
"Dieu,
l'absolument autre
ni clos ni enclos,
sans contenant, sans contenu.
non pensable comme objet,
loin au-delà de tout espace,
proche en deça de toute distance.
sans agir comme sujet,
d'où tout sujet procède,
se déployant en tous.
l'acte en acte,
l'acte d'être,
l' "être" de l'acte en acte d'être.
L'être non étant
qui se tient dans l'instant,
sans passé, sans avenir,
qui se déploie en soi
sans commencement, sans fin.
qui sans cesse se dit
et jamais ne se redit.
qui sans cesse devient
et jamais ne redevient.
que nous nous devons d'affirmer
par tout ce que nous sommes
pour n'être pas nuées
que notre conscience dissipe
se dissipant elle-même,
mais que chacun ne sait que nommer
à partir de sa propre substance,
car rien de ce que nous connaissons
ne nous permet de dire davantage.
Dieu,
- Question nouée à l'homme
qui prend conscience de soi.
- Question porche du mystère
que l'homme est en lui-même.
- Question née du vide de l' "absence"
qui se creuse avec lui,
quand l'homme sait s'y tenir
il s'ouvre sur lui-même.
- Question née du silence de l' "attente"
et qui se nourrit d'elle,
et qui meurt avec elle
quand l'homme se renie.
- Question qui ne supporte
aucune réponse vraie,
mais sans cesse en suggère
quand elle reste vivante.
- Socle mystérieux d'union entre les hommes,
quand ils s'affrontent à elle chacun dans le secret,
elle les oppose entre eux
quand tous hors du silence lui donnent quelque réponse."
Marcel Légaut.
[...]. La grande tentation [...] de notre époque, et sans doute davantage
encore des temps futurs, n'est pas l'athéisme. Il est aussi
difficile et exigeant d'être un véritable athée qu'un croyant de foi en Dieu; peut-être
même est-ce si difficile et si exigeant que cela en devient impossible par
l'irrémédiable contradiction entre le vivant qu'il faut être, vaille que vaille, coûte
que coûte, et le "vécu" qu'alors inéluctablement on est conduit logiquement
à se laisser devenir puisqu'on ne croit plus en l'homme qu'on est.
Non, la grande tentation est le panthéisme[...]."
Marcel Légaut.
"[...] j'insiste sur le fait que l'homme a besoin, non pas tant d'un maître qui enseigne ou d'un modèle qu'on imite, mais essentiellement d'une présence qui lui révèle les ressources spirituelles qui lui sont encore implicites, voire potentielles en lui ; présence qui suscite en lui les prémices de l'être qu'il est appelé à devenir. Cette présence proprement créatrice est, à mon sens, ce que Jésus a été et est encore auprès de ceux qui sont ses disciples."
"Jésus est l'essentielle présence qui nous enfante à nous-même".
Marcel Légaut.
"La prise de conscience par l'homme du fait qu'il mourra; l'acceptation réaliste de cet événement, la compréhension des conséquences capitales que cela comporte dans sa vie, l'intelligence du sens de sa propre mort exigent une vitalité spirituelle vigoureuse[...]. Ni son animalité, ni la société, ne portent l'homme à se penser mortel, l'amour et la paternité l'y préparent[...]. La nécessité de la mort n'est pas biologique, mais spirituelle[...]. Le sens profond de "son" existence, la dépossession de "soi" et l'intelligence de "sa" mort grandissent ensemble[...]." Marcel Légaut.
Dernier Départ
Joie du dernier départ pour le dernier effort
Avant l'arrêt suprême sur le plus haut gradin
D'où l'être embrasse d'un unique regard
Toute sa vie à jamais écoulée
Zones de calmes profonds
Où l'homme s'ouvre immobile
Disponible et docile à l'action toute divine
Qui a oeuvré sans cesse en lui,
Au plus intime
Joie filiale de l'enfant qui s'en va
Vers la Maison du Père, a osé dire Jésus...
C'est là ma louange et ma reconnaissance.
Marcel Légaut.
"Cette action que l'on saisit à travers son histoire, dont la
conscience qu'on en atteint grâce aux sens, aux activités intellectuelles et affectives,
relève pour l'essentiel de ce qu'on est au-delà des sens, de
ce qu'on vit au-delà des activités intellectuelles et affectives, l'homme est ainsi
conduit à l'appeler l'Acte en lui et plus ordinairement, à la suite de millénaires de
croyants, Dieu en lui. [...]
Lorsqu'on veut se donner raison à ce niveau de tout ce qui s'est développé en
nous, on est conduit à affirmer l'existence de ce qui n'est pas
pensable, à épouser l'ignorance radicale de ce qui n'est pas cependant pour nous comme
n'étant pas[...] Cette reconnaissance de l'ignorance radicale est l'ultime connaissance
que nous pouvons atteindre; tout autre que l'agnosticisme, elle ouvre sur la foi nue dans
la communion, indiscernable dans sa totalité, entre soi et Dieu; foi et communion qui ne
portent qu'échos déformés et éphémères mais cependant réels au coeur de
l'intelligence et de l'affectivité à l'heure de la lucidité dans la lumière et de la
fidélité dans l'action créatrice. [...]"
Marcel Légaut.
"Attente et recherche vont de pair dès le début de la vie spirituelle, et toujours davantage à mesure qu'avec l'approfondissement humain l'une et l'autre s'intensifient. La recherche conduit à l'attente de ce qui doit la rendre efficace, et, inversement, l'attente est l'aiguillon de la recherche. Sans l'attente, la recherche piétine sur sa propre foulée. Sans la recherche, l'attente, trop passive, n'est ordinairement que paresse. [...] Rien ne mesure mieux qu'elles la vitalité réelle de l'homme. Elles manifestent ce qu'il est, mieux que ce qu'il affirme ou fait... Toute affirmation qui naît grâce à elles, serait-elle fausse, est bénéfique. Sans elles, toute affirmation, serait-elle exacte, est finalement un obstacle à la vie spirituelle. Recherches et attentes font finalement progresser les hommes vers leur humanité, et parallèlement, grâce à elles, Dieu prend une figure moins inintelligible. "
Marcel Légaut.
"L'homme n'est pas par lui même ; sa "carence d'être" lui est intrinsèque. Cependant il est en mesure de la reconnaitre dans sa nature propre et d'y voir tout autre chose qu'un défaut de technique auquel on pourrait espérer porter remède un jour. Par là il transcende sa finitude sans pour autant la faire disparaître. Pour devenir lui-même il a besoin de ce qui n'est pas lui, de ce qui se présente à lui du dehors et de ce qui provient de ses origines. Ce qu'il fait et ce qu'il pense, les manières dont il vit et dont il se développe, en dépendent. Cependant, pour grandir dans son humanité en ce qu'elle comporte d'original, il ne lui suffit pas d'user de ce qui se propose à lui ou de ce qu'il conquiert, de subir ce qui s'impose à lui ou de s'en accomoder; il lui est nécessaire d'accueillir tout cela et de se l'approprier par une activité singulière qui lui est personnelle. Cette activité engage la totalité de ce qu'il est. Seule, elle oeuvre à l'unité, à l'unicité, à la réalité consistante et stable de ce qu'il devient."
Marcel Légaut.
"[...]La reconnaissance du "mystère" que l'homme est en
lui-même, reconnaissance liée à une prise de conscience de soi qui est propre à chacun
et dans laquelle tout ce qu'on est se trouve beaucoup plus engagé que dans aucune autre
activité de connaissance, nous l'appellerons "la foi en soi". [...]
Je pense que la prise de conscience de la foi en soi, c'est-à-dire d'un absolu qui est en
nous radicalement inséparable de nous, et que l'on ne peut pas nier sans se renier est
capitale pour arriver à un niveau véritable d'humanité. D'autre part, la prise de
conscience de ce qui se passe en nous, en particulier quand on arrive à distinguer
l'action de fabrication de celle de création, implique déjà la découverte d'une
activité intérieure qui est tout à fait de nous mais dont, cependant, on n'est pas
maître, c'est-à-dire à laquelle on ne peut pas se livrer comme et quand on veut.
L'action profonde et secrète, indépendante de nous et cependant inséparable de ce qu'on
est, qui rend chacun capable d'être créateur, permet, à mon point de vue, une prise de
contact essentielle avec l'action de Dieu en nous. [...] Je considère la foi en Dieu
comme inséparable de la foi en soi à partir d'un développement spirituel suffisant.
Dans la mesure où le foi en Dieu est ainsi transcendante à l'homme qui la transforme
sans être séparable de lui, dans cette même mesure tout danger de panthéisme se trouve
écarté. C'est à partir de lui-même que l'homme découvre Dieu. Il n'est pas tenté de
confondre Dieu avec l'Univers, comme lui-même n'est pas tenté de se confondre dans le
Tout."
Marcel Légaut.
"Fidélité du chrétien d'Occident à l'universel message de Jésus et ouverture sur la vie spirituelle de l'Orient
Mais ne faut-il pas penser que l'Orient a lui aussi à faire entrer le chrétien de l'Occident dans l'intelligence de sa propre vie spirituelle, celle qui est suggérée par la relation de la partie avec le Tout, dont la partie prend conscience en communiant avec lui au sommet - fût-il couvert de nuées - de sa propre prise de conscience de soi ? Quelques grands croyants s'y sont essayés en évitant tout syncrétisme, qui fatalement reste au niveau des spéculations et donne le change sur sa réalité proprement spirituelle. Pays lointain, promis à l'expansion de la vie spirituelle en Occident même, seulement aperçu à l'horizon, et que beaucoup d'êtres intériorisés entrevoient déjà mais sans réellement pouvoir y accéder. Trop souvent, c'est seulement en rêve et à cause des manques spirituels dont ils souffrent obscurément dans leur pays. On peut penser cependant que la meilleure préparation pour que soient franchies un jour les distances qui séparent, jusqu'à les faire s'opposer, les deux spiritualités, est de correspondre à fond et sans retour, comme Jésus le fit en son temps, aux exigences spirituelles qui montaient en lui à l'occasion des conditions de vie de son époque et de son lieu. N'est-ce-pas l'ultime message universel de Jésus ? Hériter du passé dont on est issu et, grâce à la vigueur qu'on en a reçue, le critiquer à la lumière des connaissances plus rigoureuses qui en sont désormais acquises, le dépasser pour encore mieux en vivre et s'ouvrir aux horizons de l'avenir qu'éclaire l'Aube qui se lève[...]"
Marcel Légaut.
"Le prochain tissu de l'Eglise me semble devoir être constitué nécessairement par ces petites communautés de foi où les relations atteignent en profondeur et cultivent l'humanité de leurs membres. Ainsi un approfondissement humain véritable au niveau de l'intériorité leur sera davantage possible que s'ils restent seuls. C'est une condition nécessaire pour entrer plus réellement dans la compréhension de ce que Jésus a vécu avec ses disciples sans se borner à celle qui était possible et convenable jadis. Les conditions sociologiques, les manières de penser et de sentir, les connaissances du monde et de l'humanité sont maintenant tout autres et en fait sont beaucoup plus exigeantes. D'ailleurs Jésus n'a-t-il pas recommandé à ses disciples de se réunir en son nom, leur promettant alors d'être particulièrement présent au milieu d'eux ? Grâce à ces communautés l'Eglise sera plus véritablement présente aux hommes que si elle est une sainte religion face à une autre société. Chaque fois qu'un homme arrivera à se poser les questions fondamentales il pourra rencontrer quelques disciples qui s'efforcent eux aussi de porter convenablement ces questions dont l'originale fécondité est de ne supporter aucune réponse satisfaisante. Pour ces deux raisons, il me semble indispensable que l'Eglise soit constituée par des petites communautés locales qui lui permettront à la fois de cultiver la vie spirituelle des chrétiens pour en faire des disciples de Jésus et d'être présente efficacement dans le Monde pour la Mission qui lui est essentiellement propre."
Marcel Légaut.
"Pour les âmes fortes, qui savent se donner totalement et donc se
soumettre radicalement, il y a une façon de piétiner les injonctions de la conscience en
se forçant à les assimiler à des tentations de l' "esprit propre", de
l'individualisme et de l'orgueil, il y a une façon de se nier qui blasphème l'homme et
Dieu. On ne sert pas l'Eglise en s'y asservissant. Il est une manière de se convertir qui
aboutit à se pervertir. Les saints, quand il le faut, se taisent et disparaissent, mais
ils restent eux-mêmes avec la vigueur de leur être profond tout inspiré par la mission.
[...]
[...] La fidélité dépasse l'obéissance de discipline ou de raison. Elle est
créatrice. Seule cette fidélité prépare l'Eglise à
atteindre la fécondité de la présence, ce qui va plus loin que l'efficacité d'un
gouvernement et d'un enseignement même bien conduits. Oui, la fécondité qui
demeure quels que soient les temps et les lieux, quels que soient les obstacles[...]"
Marcel Légaut.
La vraie prière ne s'apprend pas...
"La vraie prière de toute façon ne s'apprend pas. Nul n'y accède par imitation, par initiation. Elle se découvre quand on s'y trouve préparé par ce qu'on est, et qu'on y est provoqué par ce qu'on vit; cette révélation n'est possible que si on sait accueillir ce qui nous visite et monte en nous. Si les disciples ont pu connaître plus tard une prière vraie, proche de celle de Jésus, ce n'est pas en répétant, même avec attention et piété, la formule que Jésus leur avait donnée, mais en portant à sa suite la mission qu'ils avaient reçue de lui, en l'inventant grâce à son rayonnement qui en eux se prolongeait alors en une présence vivante et se déployait en l'activité du souvenir[...] ."
"Il s'agit d'un seuil à franchir semblable à tous ceux qui jalonnent
la croissance de la vie spirituelle. Comme pour ceux-ci, nul ne peut avoir l'idée de ce
seuil autrement que d'une façon abstraite s'il ne l'a pas franchi lui-même. Bien plus,
s'il croit le connaître n'en ayant qu'une simple conception théorique, il est distrait
de je ne sais quelle initiative intime, de je ne sais quel mouvement intérieur qui
seraient nécessaires pour vraiment passer personnellement ce seuil.
Toute théorie sur la prière distrait de la prière véritable si on se modèle sans
réaction personnelle sur cette théorie et qu'ainsi on se dispense de l'effort
d'intériorité qui ouvre sur le fond de soi, qui ouvre sur la présence de Dieu en soi.
On reste alors uniquement sur le plan intellectuel ou affectif, on n'est pas au niveau de
la vie spirituelle, qui est essentiellement celui de la prière. [...] ."
Marcel Légaut.
L'authenticité et la sincérité...
La sincérité est spontanée et n'exige aucun approfondissement préalable
pour être atteinte. Elle s'inscrit en nous instinctivement si rien ne nous pousse avec
succès au mensonge. Elle est très dépendante dans son jaillissement comme dans ses
expressions de l'humeur du moment, du tonus de notre journée, [...], des rencontres|...],
de notre milieu par imprégnation ou par réaction. Ainsi nos sincérités successives
peuvent se contredire sans que pour autant nous soyons menteurs. [...]
L'authenticité et d'une toute autre nature. Sans doute, elle non plus, n'est pas de
l'ordre de l'objet, mais elle n'est atteinte qu'à longueur de temps, par un cheminement
qui n'est pas seulement fait de spontanéités successives vécues au jour le jour dans la
sincérité. L'authenticité se situe au niveau de
l'intériorité, au niveau de ce qui peu à peu demeure relativement stable dans l'unité,
comme de soi, d'une façon organique, au milieu de la diversité des
contingences; croissance organique et non pas élaboration systématique ainsi que cela se
produit à la suite d'un projet méthodiquement exécuté.
Les sincérités successives, [...],sont d'autant plus des approches de
l'authenticité, qui en est comme la réalité limite, qu'elles s'enracinent plus profond
en l'homme,[...] qu'il est plus capable de s'adonner totalement à ce qu'il voit devoir
faire et être. [...]
Pour découvrir cette authenticité, ou plutôt pour en approcher,[...], il faut
entrer en sa propre présence, s'efforcer d'accéder à soi-même par le souvenir actif et
par l'intelligence en profondeur de son passé, également par une certaine préconscience
de la manière spirituelle dont nous aurons à vivre l'avenir qui nous attend;
préconscience indépendante autant que possible de tout projet, [...] .
Sans cette inspiration qui rend l'homme créateur de lui-même et l'approche de
l'authenticité, il ne saurait se fabriquer qu'un personnage.
Marcel Légaut.
Le désir de s'atteindre en profondeur...
"Non, ce n'est pas le temps, c'est le désir, un désir suffisamment vigoureux et tenace, qui manque pour prier réellement, et d'abord pour s'atteindre dans la profondeur, pour entrer dans l'intelligence de sa destinée et de ce que Jésus a vécu, pour faire l'approche de son propre mystère, de celui de Jésus et de celui de Dieu. Il s'agit là d'une volonté personnelle dont nul ne peut nous dispenser en se mettant à notre place, d'une décision que nul ne peut ni directement ni indirectement nous faire prendre, d'une persévérance dont nous sommes exclusivement et réellement responsables; responsabilité aux contours d'ailleurs indéterminables parce qu'elle relève plus de la vie entière que de résolutions et d'actions précises."
Marcel Légaut.
"La vie spirituelle transcende la vie intellectuelle et affective, elle
s'enracine dans le mystère que nous sommes en nous-mêmes, au-delà de la conscience que
nous avons de nous-mêmes. Aussi elle est balisée et se trouve marquée par le passage de
seuils qu'on ignore radicalement avant de les avoir franchis, que l'on passe sans le
savoir et dont on prend conscience seulement après coup; une conscience qui continue de
se développer en s'approfondissant, elle croît comme l'écho répété et amplifié de
l'appel entendu. Elle fait de certaines prières une action de grâce et de toutes une
prière filiale. [...]
Si la vie spirituelle émerge dans le sensible et ainsi
s'inscrit dans le temps, il faut affirmer que par elle on est immergé dans la durée et
la consistance qui sont d'un tout autre ordre que ce qui passe et s'évanouit. La vie
spirituelle est d'une toute autre substance que ce qui change sans permanence, que ce qui
demeure sans chagement. [...]"
"La vie spirituelle n'est pas spécifiquement chrétienne. Je dirais même que beaucoup de chrétiens se dispensent de vie spirituelle en pratiquant leur religion. Mais que la vie spirituelle, si elle s'approfondit, donne l'occasion, en particulier si les circonstances se présentent, d'entrer dans l'intelligence de cet homme singulier qu'était Jésus il y a vingt siècles, et si la vie spirituelle se trouve pour ainsi dire transformée par cette rencontre en profondeur d'homme à homme, incontestablement elle devient chrétienne. Mais on peut avoir une vie spirituelle sans être chrétien. On peut même avoir une vie spirituelle sans croire en Dieu parce que la vie spirituelle dont nous parlons - ces exigences intérieures qui montent en nous ne sont pas nécessairement la conséquence d'une foi en Dieu. C'est la conséquence d'une prise de conscience en nous qui fait que, si je n'y corresponds pas, je me renie. [...]"
Marcel Légaut.
Le message universel de Jésus...
"A mon avis, le message fondamental de Jésus [... ],[...] , c'est son évolution personnelle qui s'est faite dans un temps extrêmement rapide et avec une brutalité qui me semble bien être tout à fait exceptionnelle. Partir de l'héritage vigoureusement spirituel d'Israël très enfermé sur soi, qui a accaparé Dieu à sa manière. Grâce à ce qui a été reçu de l'héritage, critiquer cet héritage et par là le dépasser. Je pense que le message universel de Jésus est le suivant: héritons du passé grâce à la ferveur, à la vitalité, à l'approfondissement spirituel que nous donne cette compréhension de l'héritage (croyance, discipline, etc), critiquons à la hauteur de ce que nous sommes capables de comprendre comme exigence intellectuelle et aussi par cette motion en moi qui me rend créateur en quelque sorte de ma propre manière de devenir. Grâce à cette critique dépassons ce qui a été reçu et dans la mesure même où ce qui a été atteint est atteint de façon très personnelle, très individuelle, la société ne peut pas accepter qu'un de ses membres prenne une initiative singulière et devienne marginal. [...]"
Marcel Légaut
"Une communauté c'est un ensemble d'êtres qui sont suffisamment
fidèles, chacun à ce qu'ils doivent être pour avoir en commun le sens de la fidélité
de l'autre et découvrir dans leur communion, une possibilité d'être encore davantage
fidèle chacun à ce qu'il est.
Je parle de la communauté chrétienne. Dans mes perspectives, ce n'est pas une
communauté fondée sur une doctrine sur Jésus, mais sur une intelligence en profondeur
de l'humanité de Jésus. Que cette compréhension en profondeur de l'humanité de Jésus
fasse approcher d'une transparence que nous ne pouvons pas préciser davantage sans la
limiter et donc la blasphémer, ceci est important. Mais, malgré tout, il faut que cette
communication, que cette intelligence soit comme dans sa réalité fondamentale, le lieu
commun de toutes les fidélités de chacun. [...]
A fortiori un groupe qui ne serait rassemblé que pour un projet commun, c'est
tout à fait insuffisant. Ce sont des groupes qui sont condamnés à disparaître
rapidement parce que les projets sont conditionnés par les situations concrètes du temps
et du lieu et ces situations changent. [...]"
Marcel Légaut.
Si cette terre a un sens, elle ne l'a que par l'intermédiaire de l'homme qui a trouvé son propre sens. Ce qu'il faut souhaiter, c'est qu'il y ait suffisamment d'hommes qui trouvent le sens de leur propre réalité pour que cette terre n'ait pas été lancée en vain dans l'espace.
Oui, cette terre nous est confiée en prenant un langage pieux. Nous pourrions dire aussi que nous sommes en quelque sorte les fruits de cette terre. Nous en sommes les fruits à condition que cette singulière possibilité que nous avons d'être conscients nous permette de les porter. Par bien des aspects, il faut en être dignes, c'est-à-dire capables d'épouser le monde extérieur sans en être écrasés et tout en courant le risque d'y perdre sa vie."
Marcel Légaut.
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