CE QUE JE NE CROIS PLUS

1. Errare humanum est,
perseverare diabolicum

J'ai longtemps été persuadé que dans l'Église catholique la désaffection croissante provenait d'un dialogue de sourds, imputable principalement à un problème de langage. Il me paraissait qu'il fallait mieux comprendre et mieux traduire le message. Et cela tant pour la théologie que pour la liturgie. Puis j'ai compris que ce n'est pas qu'une question de langage.

La virginité de Marie

Entre autres j'avais admis la virginité de Marie, heureux de trouver avec la parthénogénèse chez certains animaux une analogie qui l'accréditait. Mais le jour où j'ai appris que la virginité de Marie était affirmée comme permanente, ante partum, in partu et post partum, cela m'a paru excessif, sans nécessité et biologiquement inacceptable.

Plusieurs affirmations officielles sont à revoir

Cela m'a mis la puce à l'oreille: les affirmations du magistère ne pouvaient pas être toutes crédibles. Et ce n'est pas qu'une question de langage, tout devient suspect. J'ai par la suite trouvé bien d'autres raisons de penser que bien des choses sont aujourd'hui peu crédibles, telles qu'elles sont présentées.

Ce n'est pas tout, la conception virginale de Marie est désormais plus difficile à accepter que jusqu'ici. D'une part on sait que dans l'antiquité la naissance virginale était attribuée aux empereurs (dont Alexandre le Grand), aux rois, comme déjà aux pharaons, pour en signaler une qualité exceptionnelle. La Bible raconte certaines naissances extraordinaires. D'autre part la parthénogénèse, assez répandue chez les insectes est exceptionnelle chez les mammifères et de toute façon ne peut pas transmettre le chromosome Y nécessaire pour engendrer un enfant de sexe masculin. Si Jésus est de sexe masculin (il sera circoncis, est-il dit, puis présenté au Temple), il doit avoir bénéficié de gamètes mâles. Si cette naissance est miraculeuse, elle l'est à triple titre: conception, masculinité et virginité post partum. Pour éviter de faire comme un nouveau procès à Galilée, il faut à la suite de Bultman, démythifier et renoncer à cette imagerie d'un autre âge.

Longtemps on avait été impressionné par l'argument simpliste et naïf de Vincent de Lérins:"Il faut croire ce qui a été cru toujours, partout et par tous" (vers 430).

Mais dans divers domaines, ce que longtemps on avait cru évident s'est révélé erroné. Ainsi:

- Saint Thomas d'Aquin, longtemps supposé infaillible, avait des arguments pour admettre l'infériorité de la femme, l'inquisition et le droit de brûler les hérétiques.

- Jusqu'à Galilée, on avait cru ferme au géocentrisme, on a dû passer à l'héliocentrisme (1633);

- On a longtemps prétendu que le régime monarchique était "de droit divin" . Il a fallu y renoncer et se rallier au régime républicains.

- Le prêt à intérêt, qui avait longtemps été interdit, sera toléré à partir de 1830.

- Bien d'autres choses qui étaient interdites au XIXe siècle seront admises au siècle suivant. Ainsi autoriser la lecture de la Bible et ensuite admettre qu'elle contient des erreurs flagrantes et des contradictions, puis diverses dispositions pratiques telles que l'usage du paratonnerre, l'incinération des décédés, les obsèques chrétiennes de suicidés, etc.

Nous ne pouvons plus maintenir les assertions qui sont liées au contexte culturel de leur époque. La formulation des dogmes et même parfois leur conception sont liés à la culture dominante au moment de leur proclamation, sa cosmogonie, son degré de contrainte césaro-papiste et des relents de mythologie.

Comme beaucoup de chrétiens je pense que l'on traine trop d'erreurs bloquées par une prétendue infaillibilité ou par des déclarations présentées comme vérités définitives, telles la confusion entre contraception et avortement (depuis Humanae vitae, 1968), la pénalisation automatique de tous les divorcés remariés, le blocage célibat-prêtrise, le refus formel de l'ordination éventuelle des femmes, la relance des indulgences, etc.

La référence à la Bible

Pendant de longs siècles on avait pris la Bible à la lettre, de façon dirions-nous, fondamentaliste, quasiment dictée (comme les musulmans pour le Coran). Luther crut pouvoir s'y référer pour résister à Rome. L'affaire Galilée (procès en 1633) remettait tout en question puisque l'on ne pouvait plus prendre à la lettre ce que l'on peut lire dans la Bible, que le soleil se lève et se couche, que Josué ait arrêté le soleil, etc. Il sera réhabilité en 1822. Malgré cela et malgré toute la critique littéraire et historique développée dès le milieu du XIXe siècle, d'abord en Allemagne, puis en France par Lagrange et Loisy, on a subi en 1909 la déclaration de Pie X, imposant de croire que tous les récits de la Genèse avaient un caractère historique. Il a fallu attendre 1943 pour qu'une encyclique de Pie XII (Divino afflente) admette que certains passages de la Bible n'étaient pas historiques mais symboliques ou légendaires. Mes modestes connaissances linguistiques m'ont fait encore aujourd'hui repérer quelques erreurs flagrantes, dont certaines sont imputables au passage par le grec et récemment ou pas encore corrigées.

Quelques cas d'interprétations douteuses

La traduction en grec à partir des langues sémitiques a été précieuse, mais, du fait de polysémies différentes, certains mots ont jusqu'ici été traduits de façon erronée. Le peu que je sache des langues sémitiques m'a permis de revoir et de contester quelques interprétations traditionnelles. Ainsi:

1-"Elisée labourait douze arpents" de 1 R 19.19 avait jusqu'en 1956 été traduite "Elisée labourait avec douze paires de bœufs " ce qui n'a pas de sens et qui est erreur de traduction.

2-"la jeune femme" de ls 7.14 (hébreu) a été traduite, selon les septante, par "la vierge" (repris chez Mt 1.23) alors que les mots almah en hébreu, ou parthenos en grec peuvent signifier l'un ou l'autre, car une jeune femme est supposée encore vierge.

3-"fils, frère, père" ont souvent un sens symbolique, métaphorique et pas formel, ainsi citons ce passages de la Lettre de St Paul à Philémon: "mon fils que j'ai engendré"(Phm 10, 16,20)...

4-"en quoi cela nous concerne-t-il?" de Jn 2.4, cette expression, en langue sémitique mali-malek, a été traduit ainsi, à la lettre, "quoi à toi et à moi" . Mais à de rares exceptions près, tels Alfred Kuen (Parole Vivante, Braine L'Alleud, 1976) et Juan Mateos (Nuevo Testamento, Madrid 1987), on s'en tient dans presque toutes les Bibles à la forme maladroite et erronée de: "que me veux-tu?" , car elle traduirait l'expression tronquée de malek seul.

Rectifier ces traductions n'est pas sans conséquences, principalement pour les exemples 2 et 3 ci-dessus, parce qu'on a trop souvent pris pour des réalités factuelles (faits matériels) ce qui n'était que symbolique et métaphorique. Cela provient entre autres du passage des langues sémitiques au grec et au latin, sans se méfier suffisamment de polysémies différentes.

Reconnaître les erreurs et les injustices commises

A l'occasion du Jubilé de l'an 2000, Jean-Paul Il a eu le courage le 12 mars, de reconnaître, certaines grosses erreurs dans l'histoire de l'Eglise et de faire publiquement repentance: pour les croisades, l'Inquisition, la traite des noirs, l'injustice envers les femmes, etc. Mais l'honnêteté intellectuelle ne devrait-elle pas aussi lui faire prendre acte que si parfois des papes se sont trompés, lui aussi pouvait se tromper de temps en temps et qu'il devait modérer ses jugements ?

Pour faire accepter ce qui semblait peu raisonnable mais inévitable, on avait admis cet adage, "Credo quia absurdum" ( je crois parce que c'est irrationnel, ou bien que ce le soit). Depuis St Augustin, auquel on l'attribue, cette règle faisait admettre n'importe quoi, mais cela ouvre la porte à n'importe quelles aberrations: les sectes, le racisme, la guerre, les pires mystifications.

Avec une exigence croissante de rationalité et d'esprit critique, on constate que de plus en plus se répand un christianisme à la carte, il y a ce que l'on croit et ce que l'on ne croit plus, ce que l'on accepte et ce que l'on conteste. D'ailleurs toute réglementation qui n'est pas pratiquée tombe en désuétude. C'est le cas de l'obligation annuelle du sacrement de pénitence, de l'interdiction aux divorcés remariés de communier ou encore de l'hospitalité eucharistique (communion inter-confessionnelle).

Dans bien des cas, pour éviter le scandale des faibles, on croit préférable de ne pas contredire des déclarations précédentes, mais on sous-estime le scandale des personnes averties, qui sont de plus en plus nombreux dans nos pays, et l'honnêteté intellectuelle irait de pair avec notre confiance que, à long terme, la vérité nous délivre (Jn 8.32). N'est-ce pas dans cet esprit que Jean-Paul Il a décidé de faire l'année 2000, à l'occasion du Jubilé (le 12 mars), un acte de repentance pour les fautes de l'Église au cours des siècles précédents?

Ceux qui ont fait des erreurs et commis des injustices, nous n'avons pas à en être solidaires, sauf pour admettre que la condition humaine rend inévitables de telles fautes, bien souvent on pourrait redire "ils ne savent pas ce qu' ils font".

Rappelons ce que fait remarquer Pierre de Locht: l'infaillibilité est incompatible avec la condition humaine. A la place de l'arrogance et de la prétention, il est urgent d'être modeste.

L'évolution culturelle enregistrée au cours du XXe siècle a fait remettre en question bien des prétendues certitudes dans tous les domaines, dans les sciences exactes comme dans les sciences humaines. Rien ne sera plus comme avant.

Jusqu'à Galilée, au 17e siècle, tout le monde savait que le soleil tourne autour de la terre. Jusqu'au 18e siècle tout le monde estimait que la reproduction ne dépendait que des gamètes mâles, le sein de la mère en étant simplement le réceptacle. Jusqu'au XXe siècle, on ne pouvait rien imaginer des découvertes de la médecine et de la chirurgie modernes: radiographie, imagerie à résonance magnétique, antibiotiques, laser, greffe d'organes et de cellules-souches, chirurgie assistée d'un ordinateur ou d'un robot. Tout cela dans le monde physique, pour les choses que l'on voit. Et l'on devient sceptique sur la validité des interprétations concernant ce que l'on ne voit pas. Il en va de même pour la philosophie, la psychiatrie, l'analyse linguistique, les limites de l'objectivité de l'observateur, etc. La métaphysique traditionnelle et les interprétations dogmatiques traditionnelles sont d'autant plus remises en question que la condition humaine ne permet pas d'éviter de faire des erreurs et des raisonnements naïfs.

Mais, dès l'origine, cinq siècles de controverses et de querelles, trop souvent arbitrées par l'empereur, ont abouti, avec des arguments d'un autre âge, à formuler la plupart des dogmes: Un Dieu trinité, Jésus ayant la double nature; humaine et divine, le péché originel avec ce qui s'y rattache en dogmes de l'incarnation et de la rédemption. Aujourd'hui, dans une toute autre culture, libérés de l'influence des mythologies et des cosmogonies antiques, devenues insignifiantes, bien des choses doivent être repensées et formulées tout autrement.


"JE CROIS, MAIS PARFOIS AUTREMENT" , Paul Abela
Edition L'Harmattan, collection "Chrétiens autrement" 160p. 14€,
ou chez l'auteur, 15 € port compris (52 rue Liancourt, 75014 Paris) 



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